Tchou Tchouuuu. [Ft. Nathy]

15 Octobre. Charlie avait besoin de tester le char sur lequel elle travaillait depuis un mois. Le dernier essai n’avait pas été concluant, mais là, elle sentait qu’elle tenait un truc. Son prototype trônait fièrement devant elle, dans la Forge, là où elle passait la majeure partie de son temps. C’était presque comme s’il la défiait du regard, si, évidemment, on donnait des yeux à une machine de ce genre. Chose qu’elle n’avait heureusement pas fait. Imaginez un char volant qui vous fait un clin d’œil en passant. Y aurait de quoi être perturbé hein. Quoiqu’il en soit, la question ne se posait pas. Son char était normal, et c’était tout ce qui comptait. Bon, normal était un grand mot. Il ne comportait aucune attache à l’avant pour les lier les chevaux au véhicule. Ni pour les chevaux, ni pour les pégases d’ailleurs. Alors comment voler, me direz-vous ? Et bien là était toute la beauté de la machine, et la fierté de Charlie. Elle avait bossé dur pour que des plateaux tournant placés sous la nacelle soient suffisamment stables pour élever le char dans les airs. Sans compter la navigation qui lui avait pris un temps fou en calculs et maquettes de toutes tailles. Parce que décoller, c’est bien, mais se déplacer avec fluidité, c’est mieux. Il y avait tout un système informatique qui ne craignait ni l’eau ni la foudre dans ce petit bijou, ce qui en faisait un de ses plus grands boulots. Charlie y tenait sérieusement. Depuis qu’elle était revenue à la colonie, en tant que permanente, en ce début d’année, Charlie s’était accrochée à ce char, un peu comme une manière de toujours penser à quelque chose de stable. Oui, elle n’allait pas bien, oui, son moral descendait, mais au moins, avec ce projet, elle avait quelque chose à quoi se rattacher. Alors, fallait qu’il fonctionne, il fallait que ça réussisse.

Le jeans troué au genou droit à force de se baisser, la jeune femme s’essuyait les mains pleines de cambouis, en fixant l’engin. Elle avait croisé Nathy dans la matinée, et lui avait demandé s’il avait du temps à lui consacrer pour une petite broutille. Pourquoi lui ? Aucune idée. Elle était tellement concentrée sur son boulot, qu’elle n’avait pensé aux essais qu’au dernier moment, et le garçon se trouvait là au bon moment. Peut-être pas bon pour lui, mais il avait accepté. Charlie lui avait donné rendez-vous juste après le repas – qu’elle avait encore oublié – et était donc là à la Forge, en attendant. Les cheveux attachés en une queue de cheval haute, une mèche se rebellait, l’obligeant à souffler dessus de temps à autre. Une fois qu’elle fut à peu près satisfaite de l’état de ses mains, la demoiselle laissa le chiffon quelque part, et se plaça près du treuil lié au char, et se mit à tirer. Les muscles bandés, la fille d’Hépha déplaçait l’engin jusqu’à l’arène où il y aurait davantage de place. Elle devait vérifier encore deux, trois trucs, dont les commandes pour les manœuvres simples, histoire de s’expliquer clairement auprès de Nathanaël. Charlie tira le char sur plusieurs centaines de mètres, le front se couvrant d’une pellicule de sueur, et distraitement, elle songea qu’elle était bien contente d’avoir changé son t-shirt orange spécial colonie, contre un débardeur noir plus pratique aux températures de l’atelier. Une fois arrivée au bon endroit, elle monta sur le char, et configura un peu le programme. Il était question que de s’élever dans les airs et c’est tout. Pas de déplacements risqués, parce qu’elle n’avait pas prévu quoi que ce soit concernant la sécurité de Nathanaël en plein air. Elle refusait donc qu’il dépasse le premier mètre. Charlie avait beau être dans son monde, elle n’était pas irresponsable envers les autres, pour autant.

Quand Nathy montra le bout de son nez, elle fixait toujours les commandes. Ce ne fut que lorsqu’un mouvement dans sa vision périphérique attira son attention qu’elle se tourna vers lui, et croisa son regard. « Tu es venu. » En vérité, elle ne savait pas à quoi elle s’attendait. Qu’il vienne ou non. Après tout, ils n’étaient pas réellement amis, juste des camarades de colo, et comme elle ne venait que les étés à la base, on ne peut pas dire qu’ils aient eu le temps de se lier. Oh, il y avait bien eu cet été, il y a deux ans, où ils avaient partagé une nuit ensemble, mais les circonstances étaient alors toutes autres. A l’époque, Charlie avait beau ne pas être bien plus loquace qu’aujourd’hui, elle était tout de même plus ouverte aux gens. Et apparemment, ça s’était bien passé entre lui et elle. Bah, rien d’important vraiment, hein. Ils avaient fait connaissance de manière plus charnelle, voilà tout. Descendant du char, elle posa la main sur le montant de la machine, en faisant passer son regard de l’engin au garçon, et vice versa. « Hum… J’ai besoin… » Elle chercha le mot adéquat, sans vraiment le trouver : « D’un cobaye. »

Elle haussa les épaules à sa question. Ce qu’elle croyait ? Rien de bien fixé. Mais elle aurait compris s’il n’était pas venu la retrouver. Après tout, même s’il avait dit oui, à sa question lancé au détour d’un virage, il aurait très pu changer d’avis, ou même, tout simplement, oublier. Charlie ne lui en aurait pas tenu rigueur. Peut-être aussi qu’elle était habituée à ne pas espérer. Qui sait ? Peu importe. Nathy était là, et les choses allaient pouvoir avancer. Surtout qu’elle avait réellement besoin de lui. Elle n’aimait pas parler de son vertige, et ne savait même pas si elle l’avait déjà dit à Matthy sur ce fait, mais ce problème l’empêchait de faire les essais elle-même. Sinon, évidemment, elle ne ferait appel à personne. Jetant un coup d’œil à la tenue du garçon puis à la machine derrière elle, elle finit par inspirer profondément. Oui, ça pouvait le faire. Faudrait juste faire attention. Mais Nathy était solide, et il n’était question – encore une fois – que de s’élever d’un mètre, pas plus. Elle espérait sincèrement que le grec ne ferait pas de zèle. Bon en même temps, au vu de son commentaire et du ton de voix utilisé, il semblait vouloir prendre soin un minimum de sa vie. Ce qui n’était pas plus mal. Charlie ne voulait en aucun cas le blesser, bien au contraire. Ce serait à double tranchant pour elle. D’une, elle ferait du mal à une personne contre laquelle elle ne porte aucun grief, de deux, elle ferait du mal encore, et de trois, cela signifierait que sa machine ne fonctionne pas. En somme, elle était cruellement perdante si elle ne prenait pas garde à ce qui allait se passer.

Tournant la tête vers lui, elle croisa son regard, et garda son sérieux, malgré la petite plaisanterie. « Je ne veux pas qu’il t’arrive de mal. » Ses yeux dérivèrent sur son visage qu’elle évalua de façon visible, avant de laisser un petit rictus moqueur étirer ses lèvres. « Tu es sur d’en avoir encore besoin, hum ? » Elle haussa un sourcil légèrement provoquant. « J’sais pas s’il peut t’apporter quoi que ce soit… » Sous-entendu : Il est pas si bien que ça ton visage, alors je vais t’aider à dégonfler tes chevilles. De rien, c’est gratuit. Mais elle n’ajouta rien de tout ça, préférant laisser les mots silencieux s’élever dans les airs comme si elle les avait réellement prononcés. Une manière de décompresser, peut-être, ou tout du moins, de jouer. Parce que la légèreté ne faisait plus vraiment partie de sa vie ces derniers temps. A cette pensée d’ailleurs, la demoiselle sentit son faciès se fermer et se vider de toute émotion. Il était temps d’arrêter de jouer, et d’avancer, elle n’était pas là pour se conduire comme une enfant. Se détournant du garçon, Charlie se rapprocha du char pour le caresser doucement, pensive encore une fois. « J’ai… J’ai essayé de monter un char qui n’aurait pas besoin de pégase pour voler. Aucune monture en somme. Comme une voiture volante, mais en forme de char. Là. » Elle montra le tableau de bord dans le char. « Tu as les commandes. C’est tout simple. Le bouton rouge pour le contact. Le levier pour monter ou descendre, les deux flèches pour la gauche et la droite, et les deux pédales au sol sont l’accélérateur et le frein. » Puis, elle se tourna vers lui, un peu intimidée par sa future réponse mais n’en montrant rien. « Tu as… compris ? »

Charlie avait oublié combien Nathy pouvait se montrer joviale et optimiste. A le regarder comme ça, il dégageait une certaine aura d’assurance qui la mettait légèrement mal à l’aise. Bon normalement, elle devrait savoir se contenir, mais c’est plutôt sa pique qui la déconcerta. Et comme à chaque fois qu’elle se montre légèrement déstabilisée, Charlie répliqua : « Suffisamment pour une nuit, c’est déjà ça. » Hey, elle aussi, elle pouvait jouer. Et puis, chacun son tour, chéri.

Contente de savoir qu’il avait écouté, songea-t-elle ironiquement, alors qu’elle le voyait bien plus pressé de grimper sur l’engin que de faire attention. Et ça, elle ne pouvait le permettre. Alors quand il s’installa, Charlie ne le quitta pas des yeux, ultra attentive. En vérité, ça l’angoissait qu’il soit seul là-dessus, et qu’elle ne puisse pas le protéger plus que ça. Mais apparemment, il lui faisait confiance. Génial ! Super rassurant. Elle vit dans son regard qu’il savait qu’elle faisait de son mieux, et que tout irait bien. Comme si c’était à lui de la rassurer, bon sang. Agacée, parce qu’elle ne pouvait pas être auprès de lui, Charlie leva les yeux dès qu’il commença à faire grimper le char.

« Hey, doucement ! » Bordel. Pourquoi montait-il si haut ? Fronçant les sourcils, alors que l’inquiétude coulait dans ses veines, la fille d’Héphaïstos serra les dents. « Nathy ! Putain, descend de là tout de suite ! » Et ce con qui lui demandait comment faire. Bordel, elle allait l’étranger, une fois qu’il descendrait. L’attraper, et l’étrangler, histoire de lui faire comprendre ce que ça entraîne que de désobéir à ses ordres ! « La manette ! Utilise la manette pour descendre. » Le ton était urgent, précipité. Charlie avait le foutu vertige, et ne pouvait donc pas se trouver à ses côtés, et ça, ça la rendait folle. S’il lui arrivait malheur alors qu’elle était l’investigatrice de cette idée, elle ne s’en remettrait pas. « Descend que je t’étripe ! » Au moins, c’était clair, il savait ce qui allait lui arriver.