Se battre est devenu une seconde nature pour moi. Peut-être est-ce pour la simple et bonne raison que c'est la seule option qu'on m'a offerte toute ma vie, mais je dois avouer qu'après toutes ces années je ne pourrais plus m'en passer. Si c'est un combat sans fin que je dois mener, je ferai de ma vie un champ de bataille ou seul le vainqueur se tiendra à la fin de la guerre. Personne ne me ralentira, personne ne m'arrêtera. Et qui sait, la satisfaction viendra peut-être d'elle-même.
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Avec Héphaïstos et Déméter comme grands-parents, la promesse d’une vie particulière est inévitable. Ajoutez à cela un frère jumeau et un paternel fou à lier et vous avez la parfaite petite famille dysfonctionnelle directement importée de l’Olympe. Aussitôt qu'il apprit que ma mère était enceinte, mon père la força à déserter le camp des sang-mêlé avec lui. Lâche et effrayée, elle accepta. Je lui en ai toujours voulu de nous avoir isolés, de ne pas être allée chercher de l’aide, alors qu’elle savait qu’elle allait embarquer deux enfants avec elle dans cette histoire. Mais d’un autre côté, je la comprenais, car moi aussi, il me terrifiait…
Se retrouvant avec deux enfants sur les bras, la pauvre dame ne savait plus où donner de la tête. Mon cher père n’attendait que son accouchement pour pouvoir la battre à nouveau, et cette fois elle était isolée, complètement seule dans une ville où elle ne connaissait personne. Les petits jumeaux, eux, ne pouvaient faire autrement que de compter l'un sur l'autre. Forcés à vivre une vie la plus ''normale'' possible afin d'éviter d'éveiller les soupçons. Notre paternel se foutait bien que nous soyons de sang-mêlé ou non, ce qu'il voulait c'est le contrôle total sur notre mère et il l'avait maintenant.
Pour moi et mon frère, chaque jour était une lutte livrée ensemble. Nous contre le monde. Il m'aidait avec l'école puisqu'il était plus doué que moi, je l'aidais quand quelqu'un l'embêtait. Je faisais souvent parler mes poings et ça m'a valu quelques coups supplémentaires à la maison, mais j'avais besoin de me défouler quelque part. Mais James lui, était capable de garder le contrôle. Toujours là pour sécher mes pleurs dans la nuit, toujours là pour m'épauler dans les moments les plus difficiles. Nous n'étions qu'une seule âme partagée entre deux corps.
Jusqu'au jour où il bascula. On ne peut pas demander à un enfant de 12 ans de prendre le poids du monde entier sur ses épaules sans s'attendre à ce qu'il lâche prise à un moment ou un autre...
Lors d'une soirée particulièrement mouvementée, notre père s'affairait à cogner sur notre mère sans la moindre retenue du monde et cette fois, pour la première fois, je craignais réellement pour sa vie. Pour NOS vies. La tête entre les mains, j’écoutais avec horreur la symphonie de hurlement qu’il lui arrachait avec chaque coup. Une rage infinie bouillonnait en moi, mais que pouvais-je y faire ? Il était plus fort et c’est tout ce qui importait.
Soudainement, plus un son. Chaque bouffée d'air tiède était comme une lame me transperçant la gorge alors que je l'entendais s'approcher de nous. Je lève le regard et c'est directement dans ses yeux que les miens se plongent. Instinctivement, je me lève et comme si j'étais possédé je lui fous une baffe le long du visage. Il me regarde longuement comme s’il ne réalisait pas ce qu’il venait de se passer. C’était la première fois que quelqu’un dans cette maison osait se tenir devant lui. Furieux, il commença à hurler des injures plus horribles les unes que les autres alors que j’étais tétanisé par la peur. Il leva le bras, mais fut interrompu par un cri de rage. C'était James. Son corps entier était entouré de flammes, jamais je ne l'avais vu perdre le contrôle comme ça. Mon père détourna son attention vers lui, mais une puissante déflagration le projeta contre le mur.
J'ai crié son nom, à maintes reprises, mais James n’entendait rien. Reculant pas à pas vers la sortie pour éviter d'être dévorer par les flammes, je ne pouvais quitter des yeux les langues de feu rougeoyantes qui engouffraient petit à petit tout ce que j'avais connu de ma misérable vie. Mon petit monde s'envolant devant moi dans les flammes de la haine. Il suffisait d’une minute, d’un faux pas pour que tout parte en fumée. La personne qui m’avait empêché de sombrer pendant toutes ces années fut la même qui a détruit l’entièreté de ce que nous avions bâti ensemble. Y compris lui-même. Pouvais-je vraiment lui en vouloir ? Je ressentais moi aussi cette peine, cette frustration, cette colère. Je me tenais dans le cadre de porte, impuissant, quand soudainement on me tira vers l’arrière.
La vie a fait en sorte qu’à cet instant précis, la sœur de ma mère qui l’avait cherchée chaque jour depuis sa disparition du camp avait enfin retrouvé sa trace. Malheureusement pour elle, il était trop tard pour la sauver… Tout ce qu’il lui restait de sa sœur c’était moi, et elle était déterminée à ne jamais me laisser tomber. Probablement parce qu’elle s’en voulait de ne pas avoir pu aider sa jumelle plus tôt. Depuis ce jour, j’ai vécu au camp Jupiter avec elle. Il est difficile de redonner goût à la vie à un enfant qui vient de perdre toute sa famille, mais elle l’a fait. Jour après jour, petit à petit, elle m’a montré ce que c’était d’être aimé, d’avoir le droit d’être soi-même, d’avoir le droit d’aimer. Elle m’entraîna au combat pour me montrer que moi aussi je pouvais être fort. Elle m’a inscrit à l’académie où contrairement à l’école publique, le système était fait pour fonctionner avec des jeunes atteints de TDAH et de dyslexie. Je me suis fait des amis, j’ai commencé à pouvoir explorer mes horizons, savoir ce que j’aime et que je n’aime pas. On dit souvent que quelque chose de bien sort toujours des événements négatifs. Je considère mon temps passé au camp Jupiter comme étant le bien qui découle de l’accident causé par mon frère.
Mais plus tard je fis la compréhension d’une leçon beaucoup moins douce… Pour chaque minute passée à aimer et chérir quelqu’un, la souffrance de perdre cette personne n’en sera que plus grande. J’aurais pourtant dû l’apprendre bien avant, mais les circonstances dans lesquelles j’ai perdu mon frère n’étaient pas les mêmes…
Il fallait bien s’en douter mais la paix ne pouvait régner éternellement. 2020, la brume qui voilait le regard des humains depuis des millénaire fut subitement levée. Il fallait agir, la panique sévissait dans les villes et soyons honnête, même si Martine du dépanneur au coin de la rue est souriante et serviable, ce n’est pas elle qui vous aidera à terrasser un cyclope ou une harpie… C’est donc sur nos épaules que retombait la responsabilité de défendre les citoyens. Opération réussie avec brio, mais voilà que ces ingrats osent se révolter qu’on leurs ai caché la vérité des années durant (prouvant ainsi que les dieux avaient bien raison de le faire…). Un brave fils d’Arès se porta volontaire pour aller en émissaire, mais on n’entendit plus jamais parler de lui. La seule chose qu’on sait, c’est que s’il est mort il a dû leur dévoiler la position de notre camp avant de le faire. Car quelques jours plus tard, c’est une foule de petits morpions enragés qui se pointent devant le camp et qui veulent nous renverser. La première étape pour se débarrasser des dieux c’est de se débarrasser de leurs enfants en premier, c’est logique. La bagarre éclatât et pour la première fois je pouvais me laisser aller à 100%. D’ailleurs , il semblerait que je me sois laisser aller un peu trop pour certains puisque je fus affectueusement surnommé ‘’Le boucher’’ suite à cette bataille. Heureusement ce ne fut que temporaire, mais ce fut assez pour me faire réaliser que mon style de combat était peut-être un peu plus… radical que celui que mes compères adoptaient.
La lutte fût merveilleuse, jamais je ne me suis senti aussi épanoui et utile que sur le champ de bataille mais c’est en comptabilisant les pertes que je suis redescendu de mon nuage et ce, assez abruptement. Je n’avais pas combattu auprès de ma tante et je n’ai pas eu le temps de me faire du souci pour elle dans le feu de l’action. L’annonce de sa mort au combat me fit l’effet d’une bombe droite au cœur qui laisse un vide immense sur son passage. Tout cela à cause de ces humains. À cause de leur égoïsme. Et le pire, c’est qu’ils ont presque tous perdu la mémoire à présent. Ils ne se rappelleront même pas de ceux qu’ils nous ont enlevés.
Même si tous ceux que vous aimez tombent au combat, la vie elle, ne s’arrête pas. Les membres de la coalition se sont réfugiés dans un nouveau camp autour de la ville d’Argo. Je repartais de nouveau à zéro, mais cette fois il n’y avait personne pour m’épauler durant cette épreuve. Personne ne viendrait en héro sauver le petit Jayce qui vient de tout perdre pour lui redonner une vie qui vaut la peine d’être vécue. À partir de maintenant, c’est moi et moi seul. Je ferais ce que je veux, ce qui me plait, ce dont j’ai envie. Et jamais, plus jamais on entrera dans mon cœur pour en arracher une partie en le quittant. Ils finissent tous par partir, mais moi, je reste. Je resterai jusqu’à la fin.